La revue Les Lettres et les arts, Cahiers suisses de critique littéraire et artistique, a proposé dans son n° 12 d’avril-juin 2012 un dossier consacré à Jules Verne. Ce dossier, composé d’une trentaine de pages, est magnifiquement illustré, à l’image de l’ensemble de la revue, ce qui semble être un de ses principes ; y figurent bien entendu une photographie de Jules Verne et des images Hetzel assez connues (terme ambigu, car relatif), il y aura forcément des lecteurs qui n’auront jamais entendu parler de Jules Verne et qui feront des découvertes. Ce dossier inattendu apporte des réalisations… étonnantes. Il serait vain de tenter de les décrire ici et mieux vaut laisser la possibilité aux lecteurs d’être surpris.
Composition originale d'Aurélie Monnier
Neuf articles figurent dans ce dossier. Le sommaire montre que les sujets ont été judicieusement choisis. Y figurent en effet trois grandes célébrités de la recherche vernienne (Daniel Compère, Jean-Yves Paumier et Jean-Pierre Picot), deux doctorants qui assurent la relève (Renoir Bachelier et Valéry Rion), un artiste (Niklaus Manuel Güdel), une spécialiste de l’histoire du livre et des collections — et donc, manifestement, des illustrations (Cécilia Hurley), une neurologue (Laura Bossi) et enfin l’actuel directeur de la Maison d’Ailleurs à Yverdon-les-Bains. Les littéraires croisant un artiste, une historienne, une scientifique et un conservateur, tous les éléments sont réunis pour avoir une sorte de vision globale de Jules Verne et de son œuvre. Toutefois, une lecture du dossier révèle un ensemble plus complexe.
Les articles en eux-mêmes ne sont pas à remettre en cause, mais plutôt l’effet produit par l’ensemble. Mais parcourons ce dossier pour mieux comprendre.
Niklaus Manuel Güdel introduit ce dossier en faisant quelques rappels concernant Jules Verne et sa postérité et en insistant sur son entrée dans la collection de la Pléiade. Il nous prévient prudemment que le dossier « ne prétend pas couvrir tous les domaines dans lesquels la vernologie peut s’aventurer » mais veut essayer de montrer « quelle a été la place de Jules Verne dans la littérature française, ses ambitions, et comment il répond, malgré sa réputation de conteur populaire, à des critères littéraires. »
Lui succède l’article de Daniel Compère : « Quelle place pour Jules Verne dans la littérature ? », dans lequel, fidèle à la direction prise par le n° 1 de la revue Jules Verne et Cie, [1] l’érudit vernien replace l’auteur dans le contexte littéraire de son époque, en citant les auteurs qu’il admire, ceux auxquels il se réfère, ainsi que ses « concurrents » (sans doute le domaine dans lequel nous avons tous le plus à apprendre).
L’article de Renoir Bachelier (« Le rêve académique de Jules Verne ») permet de voir la manière justement peu académique (mais de ce fait, très littéraire) dont Verne rédige certains passages de ses livres ce qui est sans doute une des raisons pour lesquelles il n’a pu entrer dans l’Académie.
En nous contant « L’aventure des images. Jules Verne, l’éditeur Hetzel et ses illustrateurs », Cécilia Hurley ouvre la porte sur un pan de la vernologie qui commence à être étudié depuis quelques années. Mais à la lecture de ces pages, on pénètre les arcanes du métier d’éditeur et à quoi tient le choix des images à insérer ou à supprimer. La lecture de cette étude permet de constater surtout les immenses possibilités d’une étude systématique de tout le travail iconographique réalisé dans les Voyages extraordinaires (le bicentenaire Hetzel, c’est dans un an).
Valéry Rion s’intéresse au domaine fantastique de l’œuvre vernienne : « Jules Verne, ‘fantastiqueur’ : l’art du réemploi » aborde sous cet angle Le Château des Carpathes et Maître Zacharius et nous prouve que le fantastique joue un rôle aussi important que le contenu scientifique (sans qu’aucun des deux n’empêche l’autre d’exister).
Jean-Yves Paumier s’intéresse à « La petite géographie sentimentale de Jules Verne » et nous montre à la fois comment Verne a su se servir de cette matière pour bâtir la plupart de ses romans, mais également à quel point cette géographie est au moins autant poétique que scientifique, en s’accompagnant d’un parallèle avec Julien Gracq.
« Une fenêtre ouverte sur ces abîmes inexplorés », tel est le titre de l’article de Laura Bossi qui a le mérite d’établir plusieurs éclairages au sujet de Vingt Mille Lieues sous les mers : les sources d’inspiration, le contexte scientifique de l’époque, la manière dont cette science s’expose et se développe dans les lignes du roman, et notamment des dialogues entre les différents personnages.
Fidèle à ses habitudes, le toujours caustique Jean-Pierre Picot évoque « Jules Verne en Suisse : Docteur Tic-tac et Mister Klock-Klock ou ‘l’horloger qui avait perdu son âme’ ». En à peine deux pages (on regrette que l’article soit si court), on parvient à établir des liens avec la science et la musique, on en apprend plus sur le lieu exact de l’intrigue et le destin de Zacharius, on subit quelques piqûres de rappel sur l’état d’esprit de Verne au moment de rédiger cette nouvelle.
Enfin, Marc Atallah ferme la marche en nous présentant « L’Espace Jules Verne de la Maison d’Ailleurs. Exposer l’Ailleurs pour nous aider à raconter le présent ». Il nous rappelle tout d’abord le contexte de la création de cet espace : le don (et non pas la vente comme on l’entend dire parfois) par Jean-Michel Margot de la plus grande collection mondiale privée dédiée à Jules Verne. Don réalisé en 2008, au cours d’un magnifique week-end tout empreint de festivités et d’émerveillement. Marc Atallah insiste tout particulièrement sur le positionnement de Verne dans le champ des littératures conjecturales (utopie, science-fiction, voyages extraordinaires) et sur le rôle que peut jouer un lieu aussi unique (seul musée européen de science-fiction avec un fond documentaire exceptionnel) sur notre imaginaire, bien entendu, mais également sur notre réflexion.
L’ensemble du dossier est donc extrêmement varié, présente des pistes parfois très originales. Si originales que, finalement, au risque de passer pour le grincheux de service (mais c’est certainement le cas), je me risquerais à me demander si l’on n’a pas un peu forcé le trait. Ou, pour être plus précis, s’il ne manquerait pas une sorte d’unité centrale qui aurait permis de rassembler ces points de vue qui finissent par devenir disparates à force d’être si variés. On regrettera donc l’absence d’un article qui aurait offert au lecteur non averti une vue d’ensemble sur ce que furent Jules Verne et les Voyages extraordinaires, avant d'emprunter différents chemins de traverse. Il n’en demeure pas moins que ce dossier est d’une grande richesse et doit être conseillé à tous ceux qui veulent connaître un peu mieux les multiples aspects d’un univers des plus riches et des plus complexes.
Notes
- Jean-Michel Margot. « Jules Verne parmi ses pairs : Jules Verne & Cie (Bulletin du Club Verne, no 1, L'Asie mystérieuse, 2011, Amiens, 200 p.». Verniana, vol. 4, 2011-2012, p. 93-98). ^